J'avais 9 ans quand la crise a touché le Québec : notre famille a été affectée par celle-ci, mais on s'en est bien sorti grâce au poste qu'occupait mon père et au petit revenu de ma mère. On vivait en ville, beaucoup de chômeurs y habitaient, mais dans les campagnes, là où la majorité de la population vivait, il y avait un réel vent de mécontentement (Clavette, 1995, p.47). Le tiers des revenus de l'industrie agricole du Canada provenaient des exportations : suite au krach de 1929, celles-ci s'arrêterent, ce qui toucha durement la population rurale. Québec et Montréal avait aussi été affectés par ce krach : dans les manufactures, 25% des ouvriers avaient été mis à pied, mais cela n'était que la plus petite proportion de cette vague de mise à pied. En effet, ce pourcentage s'élevait à 40% pour les usines de pâtes et papiers, 50% dans l'industrie lourde et 70% pour l'industrie du sciage (Clavette, 1995, p.46). En 1933, les journaux en faisaient les manchettes : les exportations, le PNB et le revenu annuel moyen des Canadiens avaient chuté de moitié (Clavette, 1995, p.46).
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Louis-Alexandre Taschereau et le Parti Libéral de 1920-1936 |
Suite à la formation de l'ALN en 1934, des élections générales auraient lieu dans la province qui, comme mon père me le racontait si bien, allaient annoncer un vent de changement. En 1935, Duplessis était chef du Parti Conservateur depuis 2 ans lorsqu'il forma une alliance avec l'Action Libérale Nationale (Sarra-Bournet, s.d., p.1). Comme mon père le disait, il était un vrai requin en politique : c'était un homme de stratégie brillant qui savait évalué les situations avec un oeil analytique impressionnant. Il avait ainsi ressenti la menace que l'ALN représentait pour sa possible victoire aux élections de 1935, et avait formé une alliance tactique avec Paul Gouin, chef de l'ALN, 18 jours avant les élections (Sarra-Bournet, s.d., p.1). Les deux partis ne pouvaient ainsi pas présenter de candidatures rivales dans les comtés, afin de maximiser les votes allant à l'opposition (Sarra-Bournet, s.d., p.1).
Même si je ne me rappelle pas de tous ces détails que m'a raconté mon père, je me souviens que l'ambiance était particulière le soir des élections du 25 novembre 1935 (Sarra-Bournet, s.d., p.1). Nous étions tous regroupé autour de la radio et écoutions le dévoilement des résultats des scrutins. |
Le Comité des comptes publics
Du 7 mai au 10 juin 1936, le Comité des Comptes Publics est rassemblé par Duplessis, qui prend avantage de la situation économique précaire de la province afin de frapper durement le parti au pouvoir, qui est soupçonné de corruption (Livernois & Imbeault, 2018, p.1). Ce comité, qui avait été créé à l'époque du Bas-Canada, passait au peigne fin les dépenses gouvernementales afin d'y vérifier les irrégularités (Livernois & Imbeault, 2018, p.1). 33 témoins y seront convoqués, ce qui transformera l'allure du comité en véritable procès contre le PLQ (Livernois & Imbeault, 2018, p.1). Parmi les dépenses illégales rapportées, le comité découvrira que le ministre de la Colonisation, Irénée Vautrin, avait financé ses achats de bâtons de golf avec l'argent de son département (Livernois & Imbeault, 2018, p.1). Une autre de ces dépenses, qui passera dans les annales, concerne les 1600$ dépensés par Vautrin et ses proches qui, avant d'être découverts, n'avaient déclaré que l'achat d'une paire de breeches (Livernois & Imbeault, 2018, p.1). Or, ce sont les propos du frère de Louis-Alexandre Taschereau qui pousseront ce dernier à quitter ses fonctions. En effet, Antoine Taschereau, comptable de l'Assemblée Législative, avoue qu'il encaissait sur ses comptes personnels les intérêts produits sur les fonds de l'Assemblée (Livernois & Imbeault, 2018, p.1). Ce dernier démissionne ensuite, suivi de près par son frère. Duplessis annoncera alors ce jeu de mot : « Avec un gouvernement aussi dissolu, la dissolution s’imposait » (Livernois & Imbeault, 2018, p.1).
La loi du Cadenas
Sanctionnée le 24 mars 1937, la loi concernant la propagande communiste, mieux connue sous le nom de Loi du Cadenas, rend « illégal pour toute personne qui possède ou occupe une maison dans la province de l'utiliser ou de permettre à une personne d'en faire usage pour propager le communisme ou le bolchevisme par quelque moyen que ce soit » (Corbo & Lamonde, 2009, p.427). Dans un contexte de crise où les mesures d'aide sociale associées à l'extrême gauche connaissent leur point culminant, Duplessis s'inscrit en tant qu'anticommuniste et amorce une véritable chasse aux sorcières dans la province en mettant en place cette loi (Corbo & Lamonde, 2009, p.426). Celle-ci est particulière puisque la définition des concepts de « communiste» et « bolchevique » est omise, laissant ainsi libre cours à l'interprétation des forces de l'ordre (Corbo & Lamonde, 2009, p.426). En outre, un autre élément de la loi est à retenir : « Il est illégal d'imprimer, de publier de quelque façon que ce soit ou de distribuer dans la province un journal une revue, un pamphlet, une circulaire, un document ou un écrit quelconque propageant ou tendant à propager le communisme ou le bolchévisme » (Corbo & Lamonde, 2009, p.427). Cette loi sera jugée inconstitutionnelle en 1957, lorsque 8 des 9 juges de la Cour Suprême certifient que cette dernière relève du droit pénal de juridiction fédérale (Corbo & Lamonde, 2009, p.426). C'est suite à une contestation de John Switzman, un partisan du Parti ouvrier-progressiste, que cette loi fut remise en cause par la justice (Laflamme, 2013, p.1). Sous-Locataire dans un immeuble à logements, Switzman avait été poursuivi par son propriétaire et avait contesté la légitimité de cette dernière (Laflamme, 2013, p.1).
paroles d'adélard Godbout, prononcée au cours des élections de 1939 |
Duplessis : « Nous avons les ressources, vous avez l'argent [...] travaillons ensemble. » (Dion, 1993, p.82) Or, c'est ainsi que les régions de la Côte-Nord et du Nouveau-Québec (désormais Nunavik) ont été largement exploitées par les capitaux américains au cours du règne de Duplessis, entre autres les mines de fer dans la première de ces région (Sarra-Bournet, s.d., p.1). Même si les politiques de Duplessis me rappelaient grandement celles de Taschereau, en ce sens qu'elles faisaient rayonner l'assujettissement économique de la province, je devais au moins lui accorder la création de l'Office de l'électrification rurale en 1945, qui fit passer la distribution de l'électricité chez les ménages de campagne de 20% à 90% en 10 ans (Sarra-Bournet, s.d., p.1). Une phrase qu'il prononca resta tout de même marquée dans mon esprit quant au type d'économie qu'il privilégiait : « L’agriculture est véritablement le point d'appui pour soulever le monde dont parle Archimède. C'est l'industrie basique, c'est la pierre angulaire du progrès, de la stabilité et de la sécurité. Les peuples forts sont ceux chez lesquels l'agriculture occupe une place de choix. » (Dion, 1993, p.82).
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Outre sa foi inégalée, Duplessis encourageait fortement l'autonomie provinciale (Sarra-Bournet, s.d., p.1). Au cours de ses mandats, le gouvernement fédéral avait tenté d'instauré des programmes de subventions et d'allocations qu'il avait refusé (Sarra-Bournet, s.d., p.1). Plusieurs événements avaient eu lieu lors desquels Duplessis avait contesté ce qu'il envisageait comme de l'envahissement fédéral. Je me rappelle entre autres de la conférence fédérale-provinciale sur la fiscalité, lors de laquelle les provinces et le gouvernement fédéral avait finalement pris la décision de ne pas régler définitivement la répartition de l'imposition, qui était à l'époque seulement administrée par le fédéral (UDES, s.d., p.1). Duplessis, comme le requin qu'il était, avait déclaré : « Si vous croyez que la province de Québec a été un obstacle au progrès de la Confédération, nous sommes prêts à nous en retirer. » (UDES, s.d., p.1). Il refusa aussi les subventions fédérales pour les universités, l'éducation étant à ses yeux une compétence uniquement provinciale (Sarra-Bournet, s.d., p.1). Ce refus d'accorder des subventions aux universités aura d'ailleurs mené à la première grève étudiante du Québec en 1958 (Sarra-Bournet, s.d., p.1). Or, le moment le plus mémorable de ces convictions autonomistes fut selon moi l'adoption du fleurdelisé comme drapeau officiel de la province. C'est le 21 janvier 1948, que celui-ci fut adopté, suite à la motion du député indépendant René Chaloult (UDES, s.d., p.1). Duplessis, s'attirant souvant les heurts des autres partis, avait toutefois fait l'unanimité avec l'adoption de ce drapeau : Adélard Godbout et André Laurendeau, chefs du PLQ et du Bloc populaire, avaient tous deux approuvés cette motion (UDES, s.d., p.1).
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21 janvier 1948 : Extrait du discours de Maurice Duplessis |
En revendiquant l'autonomie provinciale et en refusant les subventions fédérales pour les universités, Duplessis s'était trouvé de nouveaux contestataires au sein des établissements d'enseignement supérieur. Ces manques de fond avaient ainsi été compensés par une hausse des frais de scolarité, restreignant ainsi l'accès aux études de qualité aux mieux nantis (Hébert, 2017, p.1). Un manifeste fut rédigé par les associations étudiantes des universités québécoises, qui revendiquait un financement systématique aux universités et la mise en place d'un système de prêts et bourses (Hébert, 2017, p.1). Duplessis resta indifférent à la question, ce qui mena à la première journée de grève étudiante de l'histoire du Québec le 6 mars 1958 (Hébert, 2017, p.1).
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Duplessis et son lègueHommage à Duplessis qui fut emporté par la mort le 7 septembre 1959 à l'âge de 69 ans (UDES, s.d., p.1). Suite à une paralysie cérébrale, il quitta ce monde et laissa derrière lui un lègue incommensurable, oscillant entre l'adulation de ses partisans et la haine des ses adversaires. Adepte du populisme, il savait comment leader les foules québécoises et fut un fervent défenseur de l'autonomie provinciale. Il aura laisser un lègue que l'on surnomme désormais la Grande Noirceur derrière lui : période marquée par un puissant conservatisme sociale et un présence marquée de l'idéologie ecclésiastique. Or, il ne fait nul doute que ce personnage aura marqué l'imaginaire québécois et fait coulé beaucoup d'encre. Des funérailles nationales furent organisées afin de l'honorer, lui et ses longues années de règne en tant que Premier Ministre du Québec.
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